Index Tikal. ( Page 3 )

Les temples I et II dominent la jungle.

.

Page précédente

Vendredi 16 février.

Guatemala Ciudad - -Flores.

Je n’ai aucune difficulté à me lever à quatre heures et demie : le décalage de sept heures avec la France me donne l’impression d’avoir fait la grasse matinée ! À cinq heures, la douzième rue est noire et déserte, presque silencieuse… C’est étrange, ce chant de coq venant de nulle part ; d’un petit jardin écrasé entre deux maisons ou du panier d’une paysanne attendant l’heure du marché ? Les rares taxis circulant à cette heure matinale sont occupés. A chaque fois que j’aperçois les phares d’une voiture, au fond de la rue, je reprends espoir, mais je reste seul au coin de la rue, dans la fraîcheur matinale et dans la sinistre lueur intermittente du clignotant orange. Je finis par trouver un taxi et nous traversons le quartier prudemment, car il se méfie de ceux qui ne respectent pas les priorités. Seuls les bus roulent à tombeau ouvert… ils risquent moins que les voitures.

À l’aéroport, je rencontre un jeune couple d’Italiens, car nous avons les mêmes problèmes pour obtenir de l’argent avec la carte de crédit : les distributeurs sont là, mais vides.

J’ai pris soin de demander une place à côté du hublot, dans l’avion, et je ne le regrette pas, car nous survolons des montagnes couvertes de jungles ou de ce qu’il en reste, et la vue est extraordinaire ! Des rivières glauques serpentent parmi le moutonnement des collines, les villages isolés se devinent à peine, serrés à l’abri des hautes frondaisons. Un volcan domine de sa masse conique, un horizon virant du rose au bleu… Je ne suis pas derrière un hublot, mais devant un écran de cinéma, et la réalité dépasse la fiction !

À sept heures et quart, nous débarquons au petit aéroport de Flores. Avec les Italiens, nous négocions un « colectivo » pour aller aux ruines de Tikal. Comme le chauffeur veut un supplément pour nous conduire d’abord à l’hôtel à Flores, à deux kilomètres, nous redescendons armes et bagages, et nous prenons un autre minibus. Il faut parfois savoir être ferme en affaire, surtout quand on sait que le « colectivo » nous demande soixante quetzales pour un trajet qui ne coûte que dix par le bus de ligne. Mais bien sûr, le bus est plus lent, et nous occidentaux, nous courons toujours, même dans ces pays où le temps ne compte pas… « Los gringos son locos ! ». Nous allons déposer nos bagages à l’hôtel « Posada Tayzal », calle de la Union. Flores est un gros bourg blotti autour de son église blanche sur une île ronde rattachée à la rive du lac Peten Itza par une digue de quelques centaines de mètres. La rue principale, à sens unique, tourne autour du bourg dont les maisons multicolores, étagées sur la colline délimitent des ruelles pavées et pentues. Ici, on n’a pas peur des couleurs ! Le rose vif côtoie le vert pastel, et j’ai même vu une maison jaune moutarde au balcon orné de larges balustrades vert pomme. Ces bâtisses sont presque toutes à un étage, sauf les bâtiments plus modernes comme l’un des hôtels qui compte cinq étages… il faudrait peut-être réglementer la construction, sous peine de voir la vile défigurée bientôt par des constructions anarchiques…

Jusqu’à Tikal, les soixante kilomètres de route sont jalonnés de panneaux incitant à la prudence : respecter les limitations, les lignes continues, les piétons… Tout ce que les conducteurs « locos » locaux ne font pas ! On paye à l’entrée du parc et des ruines. Ce petit poste de contrôle, avec sa barrière rouge et blanche, il me semble l’avoir déjà vu dans un album de Tintin ! Et le gardien, je me demande si ce n’est pas le Général Alcazar ?

La route est encore longue, jusqu’aux ruines. Nous rencontrons des coatis, des dindons sauvages, et de nombreux oiseaux aux couleurs vives… La chaleur est très supportable, car le site de tikal est bien ombragé. Pour fuir le flot des groupes de voyages organisés qui vont en troupeaux de trente personnes, s’émerveillant de la hauteur des arbres traînant leurs pieds dans la poussière du sentier… je commence par la visite des groupes H et P… Ce sont les noms peu poétiques qu’on a donné à cette partie du site. Je longe un sentier désert et je me retrouve entouré de bruits bizarres comme des claquements de langue ou d’imperceptibles sifflements éclatant soudain en vacarme infernal. Des toucans presque invisibles jouent des castagnettes avec leurs longs becs crochus. Le sentier s’élève brusquement, les racines des arbres servent de marches d’escaliers, et soudain, je débouche sur la place du groupe H, face aux deux temples pyramidaux. C’est surprenant ! Ces monuments parmi les arbres sont d’une beauté grandiose. D’autres pyramides, digérées par la végétation, sont redevenues terre, monticule, tumulus… Je reprends le sentier, retrouve la foule dont la rumeur me parvient avant que je l’aperçoive, groupée sur la « Plaza Mayor » dominée par deux immenses temples. Le temple I s’élève en flèche à quarante-cinq mètres vers le ciel. Son accès est interdit au public, car les marches disjointes ont dû causer la chute de bien des touristes ! Par contre, on peut escalader le temple II, son vis-à-vis et presque jumeau… Alors, on jouit d’un point de vue splendide sur la plaza et la jungle entourant les ruines. Ces deux temples furent construits en 725 par Caam Chac pour servir de tombeau à son père, le Grand Ah Cacao ! Certains visiteurs montent les escaliers aussi raides que des échelles, et ce n’est qu’une fois parvenus au sommet qu’ils se rendent compte que le vertige les empêche de redescendre… Alors on peut les voir, agrippés aux marches ou au bras de l’ami salvateur qui leur permet de redescendre peu à peu… j’ai remarqué que ce sont toujours des femmes qui piaillent ainsi leur détresse… Sont-elles davantage sujettes au vertige, ou est-ce simplement le fait qu’elles osent exprimer leur crainte ?

À l’acropole norte, deux attractions : un masque de pierre géant, grimaçant au fond d’une fosse ( il faisait partie d’un temple antérieur à la structure actuelle ) et un coati ( mammifère carnivore (procyonidés) d'Amérique du Sud, au corps allongé, au museau terminé en groin.) qui vient manger les bananes des touristes ( les fruits, bien sûr ! ).

Je quitte la foule des chapelets bruyants des voyages organisés, pour m’enfoncer dans les sentiers ombragés, en prenant soin de ne pas m’écarter des chemins balisés, car il est très facile de se perdre dans le labyrinthe de cette jungle… Soudain, je découvre le temple de las ventanas. Je « découvre », car j’ai l’impression que ces monuments qui me sautent à la figure au détour du sentier se fondent avec la forêt, à l’abri des humains… C’est pour cette raison que je me sens plus attiré par les édifices de moyenne importance : ils sont moins fréquentés, plus silencieux, et ce calme incite à la méditation… on se sent en communion avec le site, parmi ces pierres séculaires à demi écroulées, au cœur de cette forêt à la lumière d’émeraude. Dans son écrin de végétation, il semble perdu ou oublié, et je suis presque étonné d’apercevoir de minuscules humains escaladant les marches ou assis sur les derniers degrés… Plus de piaillements de visiteurs, mais l’appel discret d’un animal invisible dans la jungle, le bourdonnement obsédant des abeilles ou le cri bref des hirondelles surprises dans leur repaire. Malheureusement, les linteaux de bois de ces temples ont disparu, pillés, volés, et on peut en admirer quelques uns au musée de Bâle ou peut-être chez quelque collectionneur privé ?

Je continue dans le sentier ombragé. De temps en temps un fruit tombe d’un arbre… c’est le signe qu’un animal se cache dans le feuillage. Je peux ainsi observer des toucans multicolores se régalant de petites baies vertes semblables à des olives. Je me retrouve soudain au pied d’escaliers de bois aménagés au flanc de la colline… des escaliers ? une échelle plus exactement ! elle permet de grimper au sommet du temple IV dont la base est restée envahie d’arbustes ou de broussailles. C’est le plus élevé, avec ses soixante-cinq mètres de hauteur. Il fut élevé en 741 par le fils de Ah Cacao. L’ascension est un peu pénible. Heureusement qu’il n’y a pas de moustiques en cette saison ! Arrivé au sommet la vue finit de me couper le souffle : un océan de verdure, une jungle moutonnante d’où émergent les structures des temples I et II, et la pyramide del Mundo Perdido. Je m’assieds sur les marches, et j’en prends plein les mirettes. Ah vraiment, je ne regrette pas d’être venu ! La forêt résonne de cris de singes, de sifflements d’oiseaux, et parfois de rire ou de hurlements de promeneurs.

Je suis les flèches jusqu’au Mundo Perdido. Je grimpe au sommet de la pyramide dominant la forêt de sa terrasse panoramique. Plus personne sur le site, à part de jeunes guatémaltèques qui dialoguent avec leur copine assise sur les plus hautes marches du temple situé de l’autre côté de la place. Ils n’ont même pas besoin d’élever la voix : l’acoustique est surprenante.

Au retour, je passe par le temple V en pleine restauration. Le chantier devait se terminer en 2000, il faudra compter quelques mois, et peut-être quelques années de plus, car le chantier est gigantesque ! À quatre heures, je rejoins le « Microbus », et nous allons bon train sur la route, jusqu’à Flores. Ce n’est pas le même chauffeur qu’à l’aller… il est beaucoup moins prudent ! À un moment donné, il s’apprête à doubler un pick-up dans un virage, puis il se ravise, et juste au moment où il se replace derrière le véhicule, un car arrive, à la limite du dérapage, à tombeau ouvert. Pour un peu, c’était le notre, le tombeau…

Il y a vingt-six heures que je n’ai pas mangé, sauf un petit biscuit dans l’avion. Je vais dîner au restaurant « Union », rue de l’Union… La terrasse couverte de bois verni est très agréable, au bord du lac, la serveuse est mignonne et souriante. De temps en temps, dans l’obscurité, le clapotis d’une barque se fait entendre, et je vois passer l’ombre noire d’un personnage qui semble marcher sur l’eau… Quel calme ! De plus, on me sert un poisson frit succulent, et la bière « Gallo » est fraîche !

Jusqu’à neuf heures, je traîne dans les rues du village. Elles résonnent des cris des enfants qui jouent par groupes sans jamais se disputer… Sur la place du Parque Central, c’est la course de patinettes ! Je vois que la mode est internationale… Au cours de ma promenade, je tombe sur un temple quelque peu surprenant. Sur la façade, je lis « Santidad a Jéhovah ». Portes et fenêtres sont largement ouvertes, et à l’intérieur, un pasteur harangue la foule, juché sur une estrade au fond de la pièce. Il arbore de superbes lunettes noires, une cravate et un costume gris. Le veston ouvert, une main dans la poche, il fait un vrai show dans son micro : on dirait Michel Lebb ! Une partie des spectateurs reste assise sur des chaises dans la salle, alors que les retardataires se pressent sur le trottoir ou s’accrochent aux grilles pour assister au spectacle. Des enfants jouent dans l’allée ou devant la porte, mais visiblement, ça ne gêne personne ! Le public rit aux éclats, applaudit. Le pasteur prend certaines personnes à témoin, tout le monde participe… Le discours est basé sur la fidélité : il a pris comme exemple une chienne qui connaît ses petits, mais pas le géniteur… Je trouve le discours d’une totale absurdité, mais les personnes assises face à l’orateur ont l’air d’être intéressées, amusées captivées par ce discours démagogue…

 

Page suivante