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Samedi
17 février 2001. Santa
Elena – Sayache. Je déjeune juste en face de l’hôtel, car le restaurant de l’union n’est pas ouvert, à sept heures et demie. Le lac noyé de brume étend son calme jusqu’aux rives lointaines et désertes… l’air est frais, mais il ne fait pas froid. Je prends toujours le déjeuner « tipico », car c’est presque un repas complet : on me sert deux œufs, des frijoles, cette pâte brune faite d’oignon frit, et des tortillas, ces crêpes de farine de maïs au goût douceâtre presque écœurant. On les présente toujours dans une petite corbeille d’osier, sous une serviette pliée en huit pour les maintenir au chaud. Il faut dire que dès que les tortillas refroidissent, elles deviennent immangeables tant elles durcissent ! Pour
éviter de traverser la jetée à pied, je prends le bus jusqu’à
Santa Elena : un quetzal, ce n’est pas ruineux ! À la gare
routière, le car pour Sayache ne partira qu’à dix heures trente.
J’ai une heure et demie à attendre : j’en profite pour traîner
dans les ruelles poussiéreuses du marché. Des paysannes vendent des
tubercules bizarres, ni betteraves ni pommes de terre… Elles
m’expliquent que c’est très bon quand c’est cuisiné. Je pense
que nous n’avons pas le même palais… Ce doit être soit sucré,
soit farineux… peut-être aussi bon que des navets ! Le
bus s’ébranle. Il est coincé au milieu du marché, sur une place
minuscule, et je me demande comment il va bien pouvoir faire pour sortir
de là… C’est tout simple : il actionne un klaxon aussi discret
qu’une sirène de paquebot, il avance lentement, et les vendeurs
poussent leur étalage, enlèvent leurs marchandises de la chaussée,
non sans crier de peur qu’on leur écrase la boutique ! Il serait
peut-être plus simple de mettre la gare routière un peu plus loin, sur
un de ces grands espaces qui bordent la route principale… mais ce
n’est pas la tradition. Les bus partent du marché : c’est une
coutume ! Deux
heures de route jusqu’à Sayache. Une jeune maman avec deux enfants en
bas âge s’installe sur la banquette, à côté de moi. Elle a l’air
assez fortunée, car elle a acheté des friandises et des petits
« bocaditos » aux enfants. La fillette âgée de trois ans
me sourit à chaque fois qu’elle croise mon regard, puis elle
s’endort, agrippée à la barre chromée du dossier de siège se
trouvant devant nous. De temps à autre, elle se cogne la tête, le nez,
se réveille, grimace, mais ne pleure jamais. J’imagine l’un de nos
adorables bambins français voyageant dans de telles conditions… il y
a longtemps qu’il aurait rendu le voyage insupportable à tous les
autres passagers en pleurant, hurlant, braillant… On a souvent des leçons
à recevoir de « ces pays là » ! Le
soleil est écrasant quand le car s’arrête au bord du Rio de la
Pasion. Tout le monde descend, monte dans une longue barque, et traverse
vers un gros bourg sans caractère accroché à la colline sur l’autre
rive. Un bac, propulsé par deux moteurs hors-bord pétaradants va et
vient continuellement pour permettre aux véhicules de traverser. Le
piroguier me propose ses services pour aller à Ceibal : deux cents
quetzals. C’est hors de prix. Dans un pays comme le Guatemala, c’est
une fortune ! C’est caractéristique des pays du tiers monde :
les gens imaginent les occidentaux tellement riches qu’on finit par
nous proposer des services à des prix plus élevés que dans nos pays
européens ! Trente euros pour une petite barque jusqu’aux ruines
distantes de vingt-sept kilomètres, c’est exagéré… Je vais à
l’hôtel Guayacan : deux jeunes loubards affalés dans la réception
m ‘annoncent les tarifs : quarante dollars ! Alors là,
j’ai comme l’impression que je suis au bled de l’arnaque ; Il
va falloir se battre… Et je dois bien me battre, d’ailleurs, car je
fais tomber le prix à quarante quetzals, soit six fois moins cher !
J’aime mieux ça ! La chambre est correcte, les toilettes
communes sont très propres, et du balcon, je peux observer le mouvement
de la rue et l’incessant va et vient des bacs traversant le Rio de la
Pasion. Ça devient énervant, à force, ce bourdonnement de moteur… Je
flâne dans les quelques rues du village. Il n’y a pas grand chose à
voir, et j’ai vite fait les tour ! Les boutiques, semblables à
de petits bazars, se touchent et vendent toutes les mêmes fournitures,
les mêmes outils, les mêmes denrées alimentaires. Je finis par
trouver un petit restaurant sympathique en haut de la rue. On me sert un
délicieux poulet panné avec des frites, du riz, et l’inévitable bière
Gallo. Je trouve la nourriture moins grasse et plus raffinée que dans
les gargotes mexicaines. De retour à l’hôtel, je rencontre Bob, un
Américain d’une soixantaine d’années, et nous décidons de
partager la barque. Alors, comme nous sommes deux, le prix monte à deux
cent cinquante quetzales. Bien sûr, c’est moins cher pour chacun,
mais le patron de la barque, Carlos, a une façon de faire qui ne me plaît
guère… Bob, en bon Américain, n’est pas très doué en
marchandage, alors je me vois obligé d’accepter les conditions et les
tarifs exagérés de Carlos. Nous venions de faire affaire et de
promettre de partir avec lui quand le passeur de la barque de ce matin
vient me proposer les mêmes services pour cent cinquante Quetzales.
Dommage, nous avons donné notre parole à Carlos pour aller avec lui,
nous ne pouvons pas faillir. La suite nous montrera que nous avons bien
tort, car si nous avons des scrupules, lui, il n’en a pas ! La
chaleur de l’après-midi me pousse à la sieste. Quand un peu de fraîcheur
revient, sur le soir, je reste sur le balcon avec une touriste Belge et
son mari Américain. Il me raconte qu’en compagnie de son guide, il
arrivait au sommet d’un volcan près du lac Atitlan, quand ils ont été
attaqués par cinq hommes cagoulés, armés de machettes et de fusils à
répétition, et qu’ils ont été roués de coups et dévalisés. On
leur a tout pris, sauf le pantalon et le tee-shirt. Ils ont dû
redescendre en chaussettes… L’aventure a parfois un goût amer !
Dimanche
18 février 2001. Sayaxché
– Guatemala Ciudad. Nous partons avec la barque de Carlos au lever du jour, avant la chaleur, et surtout avant les hordes de touristes barbares qui sillonnent la contrée en rangs serrés! Le Rio de la Pasion, sans une ride, reflète la dentelle des frondaisons ourlant ses rives, et le ciel éclatant de nuages roses et blancs. De grands échassiers gris s’envolent lourdement à notre passage et planent majestueusement entre ciel et eau. Le trajet dure une demi-heure, et nous atteignons les marches moussues à l’entrée du site de Ceibal. Carlos coupe le moteur, et nous voilà enveloppés du silence tropical ponctué de cris d’oiseaux, de bourdonnements d’insectes, et du sifflement aigu d’une horde de moustiques gourmands, heureux de voir en nous un bon déjeuner ! Le Rio de la Pasion s’écoule lentement, mouvement si imperceptible qu’on croirait que c’est tout le paysage qui glisse. Nous grimpons par les escaliers humides et glissants, et nous nous enfonçons dans la moiteur glauque de la forêt. Les moustiques deviennent alors plus voraces. Mes oreilles sont leur mets favori ! Je risque de rentrer avec des feuilles de choux rouge ! Carlos n’est pas là pour se promener, c’est tout juste si j’ai le temps de faire des photos… Bien sûr, il nous explique sommairement les différents arbres, les diverses sortes de fruits, les lianes parasites qui étouffent peu à peu les arbres colossaux… mais on sent bien que son principal souci est de revenir de bonne heure pour tenter de repartir avec d’autres touristes ! Les temples ne sont pas encore fouillés, et ce ne sont, pour l’instant que des monticules à peine perceptibles sous la végétation exubérante. Par contre, les stèles mayas sont superbes et très lisibles. Ce sont d’énormes pierres plates de deux mètres de haut, ornées de personnages ou de divinités, de serpents aux gueules effrayantes… Avec la forêt et les singes hurleurs, c’est le seul intérêt du site. Il n’y a pas grand chose à voir, mais je dois dire que visiter un lieu archéologique avant que les fouilles ne le violent en l’exhumant, c’est aussi un plaisir chargé d’émotion ! Par moment, le hurlement rauque des singes invisibles parmi les frondaisons se fait si proche qu’on croirait qu’un fauve rugissant s’apprête à nous attaquer. C’est presque inquiétant ! Carlos nous ramène au bord de la rivière au pas de course et le gardien lui-même montre son étonnement de nous voir revenir si vite. Bob ne dit rien, moi ça m’arrange, car je pourrai ainsi changer la date de mon retour à Guatemala et je gagne ainsi une journée ! Bob demande à Carlos de s’arrêter au retour pour visiter une grande « ganaderia » sur le bord du Rio, mais il fait semblant d’oublier, et il nous ramène à Sayaxché directement. Il n’est pas très content, Bob… et moi, je me dis qu’on est mal récompensé d’avoir eu des scrupules hier soir pour respecter notre contrat avec Bob ! Non seulement on pouvait payer moins cher, mais certainement avec des bateliers plus honnêtes. Je ne suis pourtant pas tombé de la dernière averse, et je sais par expérience que dans les endroits touristiques, il ne faut pas faire de sentiment, car ceux qui vendent leurs services, eux, ils n’ont souvent ni foi ni loi ! Dommage ! Je reviens à Flores en minibus. C’est bien plus rapide et confortable que le bus et le prix est le même : dix quetzales pour quatre-vingt-cinq kilomètres. Pour mon retour en à Guate, je réussis à avancer le départ à ce soir six heures et demie au lieu de demain. Je gagne un jour au bord du lac Atitlan… Tout est pour le mieux ! L’arrivée à l’aéroport de « La Aurora » est toujours aussi affreux. Les taxis n’ont pas de compteur, et ils ne veulent pas montrer la fiche de barème suivant l’endroit où on veut aller. Ils annoncent tous soixante quetzales pour me conduire à la zone I. C’est dix de plus que ce que j’ai payé la nuit de mon arrivée, et vingt de plus que le matin où je suis allé à Flores… pas moyen de négocier ! Les chauffeurs de taxis de toutes les grandes villes du monde donnent toujours une mauvaise image du pays, que ce soit ici, à Mexico, à Paris, à Bangkok ou à Pékin… c’est toujours l’arnaque organisée autour des aéroports ! Je monte du côté des départs, et je trouve tout de même un taxi à quarante quetzales mais il ne me conduit pas exactement à l’hôtel Alameda, car il ne sait pas où c’est ! Je descends donc à la poste et je finis à pied… À l’hôtel, tout est complet, sauf une chambre double équipée de la télé couleur, et même du câble avec les chaînes américaines ! Le prix est devenu un peu moins intéressant que l’autre jour, mais je n’ai pas le choix. De ce fait, le rapport qualité-prix baisse nettement !
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