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Atitlan (b). ( page 6 )

 

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Mercredi 21 février 2001.

San Pedro – Panajachel.

Si la radio du poste de police ne m’avait pas tiré de mon sommeil, j’aurais peut-être dormi comme un loir jusqu’à six heures trente, heure du branle-bas de combat, car mes voisins Italiens font un raffut du diable, sans se soucier des autres pensionnaires. Ils courent d’une piaule à l’autre, pour réveiller les copains, et viennent même frapper à ma porte par erreur. Ils partent au « Monte Cristal » avec des guides et des chevaux. Je les préviens que l’endroit est peu sûr à cause des bandits qui rôdent parfois dans les parages. Leurs visages deviennent soucieux, les dames commencent à craindre pour leurs bijoux. Quand on réside dans un poste de police, les valeurs on peut les laisser sur place ! Je sens que je leur gâche leur promenade… C’est ma vengeance ! C’est méchant, je l’avoue, mais je leur rends peut-être service, car il est vrai que les sentiers d’excursions, sur les pentes des volcans ou des autres montagnes ne sont pas sûrs du tout ! Je me souviens du récit que m’a fait cet Américain qui s’est fait voler jusqu’aux chaussures. Les agressions de ce genre sont très fréquentes, et les bandes armées viennent de la capitale ou d’ailleurs pour rançonner les touristes. Il faut dire que la vente d’armes est mal contrôlée et que chacun peut donc acheter un M16 ou un fusil à canon scié suivant ses moyens ou ses besoins ! Si cette insécurité donne un peu de piment au voyage, je reconnais qu’à Guatemala Ciudad en particulier, c’est parfois angoissant !

Je prends la « lancha » de huit heures, au « muelle principal », devant les restaurants, juste au bas de la rue pavée. La traversée du lac Atitlán, jusqu’à Pana est un « plaisir des yeux » sans commune mesure avec la traversée du lac de Lourdes en pédalo. C’est majestueux, ce lac dominé par des volcans de trois mille mètres d’altitude. Malheureusement, avant l’arrivée à Pana, on repère facilement l’hôtel dont les hautes tours défigurent le paysage. Horrible ! Dans quelques années, la ville et les berges du lac seront peut-être hérissées d’immeubles…

Je dépose mon petit sac à dos à l’hôtel Domingo, et je pars à Santa Catarina en « picoup » comme disent les autochtones. Je monte à côté de Diego, le chauffeur, et nous parlons de choses et d’autres tout le long du trajet. Je le soupçonne même de conduire lentement pour faire durer la conversation. Les passagers entassés dans la benne doivent trouver le temps long ! Santa Catarina est un petit village étagé sur la colline comme tous ces villages du bord du lac. Devant l’église, les gosses jouent au football et ne tiennent aucun cas de ma présence ; des fillettes vêtues de la traditionnelle tenue bleue marchandent de petites barrettes ou des bijoux de pacotille, et elles ne remarquent pas non plus l’objectif de ma caméra. Par contre, les enfants, dans la rue, veulent tous que je les photographie pour pouvoir me réclamer un quetzal. Ça donne à peu près ceci : « ¡ Amigo ! ¡ Photo-quetzal ! ¡ Photo-quetzal ! » Comme c’est parfois le cas, le clocher se trouve séparé de l’église, de l’autre côté de la place. La petite cloche date des années cinquante, mais la plus grosse du XVIII° siècle. Elle est d’ailleurs tellement déformée et fendue par le battant qu’elle doit certainement donner un son creux ! Je reste un grand moment avec une dame tissant une pièce de tissu. Elle m’explique le fonctionnement de son métier rudimentaire, tout en actionnant la pièce de bois plat faisant office de navette. L’industrie plus moderne commence à sérieusement concurrencer l’artisanat traditionnel, mais dans ces villages, les femmes perpétuent la tradition et les gestes séculaires.

Je longe le lac et pars à pied vers San Antonio Palopo. Les six kilomètres de promenade sont bien agréables : la route en corniche, peu fréquentée, domine le lac, et le décor change à tout moment suivant la lumière. Je suis intrigué par des ouvertures dans la couche de tuf : ce sont des gravières ! Ces galeries s’enfoncent de plusieurs dizaines de mètres, dans la couche de poussière de pierres ponces, sans être étayées, et les ouvriers y trouvent parfois la mort ! Sur les pentes abruptes plongeant vers l’eau sombre du lac, des terrasses aménagées en champs d’oignons sont humectées à grands renforts d’arrosoirs… Ici, la vie n’est pas toujours un cadeau !

À l’entrée de San Antonio, je croise un enterrement. Les hommes marchent devant, vêtus d’une pièce de tissu ressemblant au sarong malais. Si à Santa Catarina la couleur de vêtements est le bleu, ici, c’est le rouge qui domine. Le cercueil de couleur métallisée est porté par quatre hommes coiffés du traditionnel chapeau à larges bords ; les femmes suivent, en piaillant, sans manifester la moindre tristesse. Tout le monde s’arrête, on dépose le cercueil sur le bord de la route, et de grandes bouteilles de Coca circulent parmi les gens assoiffés. Je reste un long moment avec ces villageois, et ils me permettent de faire des photos que je promets de leur envoyer dès mon retour en France. Le défunt est un jeune homme de dix-huit ans probablement victime d’une péritonite. Après s’être suffisamment désaltérée, la foule reprend sa lente procession. Une gamine ayant certainement abusé de boisson gazeuse pousse un rot d’une telle puissance que tout l’enterrement se bidonne !

Un grand chien plein de poils me suit partout, et quand je vais au bord du lac voir les femmes lier les oignons en gerbes, il sème la panique parmi elles car il se couche ou s’assied sur leurs bottes. Comme elles s’occupent de leurs oignons, elles ne sont pas contentes. J’ai beau leur expliquer que le chien n’est pas à moi, ça ne les calme pas ! Je grimpe jusqu’à l’église par la rue pavée et raide. Les habitants sont accueillants, souriants et très bavards dès qu’on engage la conversation. Je reste ainsi un moment dans une petite maison éclairée par l’unique ouverture de la porte, à bavarder avec des femmes dont une seule maîtrise l’espagnol. Elle traduit ce que je dis aux copines… Elles tressent des brins de coton et fabriquent des capes aux couleurs vives.

Je reviens à Pana avec le grand bateau effectuant le tour du lac. C’est le confort du vaporetto italien ! À l’arrivée au débarcadère, je m’installe au « Restaurante Atitlán », et je me régale avec une soupe de poisson comme je n’en ai jamais mangée ! Avec un poisson entier dedans ! Une friandise ! En montant au-dessus de la « playa Pública », je débouche dans une rue bordée de restaurants plutôt bien décorés, ouverts sur le coucher de soleil et la vue des imposants volcans. C’est sympathique… On a le choix entre toutes sortes de menus à tous les prix, du plat typique à l’occidental, en passant par les inévitables pizzas ! Difficile de conseiller à quelqu’un un établissement mieux que l’autre, car il vaut mieux se fier à son humeur du moment pour choisir son décor et son repas. En fin de compte, une ville touristique a ce côté positif : en cours de voyage, on peut y trouver une nourriture qui permet d’oublier un peu la monotonie des plats présentés dans les gargotes populaires.

Je remonte la calle Santander, et je suis toujours étonné de constater que tous les commerçants vendent les mêmes articles… Je me demande comment ils arrivent à s’en sortir ! Pana est la ville peuplée exclusivement de touristes et de marchands : « tout s’achète et tout se vend ! » À l’heure du dîner, je m’installe au « restaurante de la Luna », et en attendant mes « camarones a la plancha », je m’amuse en observant les touristes déambuler, s’arrêter pour tripoter les marchandises, de l’autre côté de la rue. La nuit, tous les tissus colorés ou les objets brodés paraissent plus beaux. Même les vendeuses semblent plus belles !

 

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