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Jeudi 22 février 2001.

Pana chichi – Pana.

Il fait presque froid quand je sors de l’hôtel à cinq heures et demie. J’ai les poils des mollets qui se hérissent, et je supporterais bien un pantalon « à manches longues », mais je n’ai qu’un short, car mon minuscule sac à dos a ses inconvénients parfois : ma garde-robe se trouve très limitée… Un premier car me mène à Los Encuentros où la correspondance attend. J’ai, comme voisin, un provincial d’une soixantaine d’années, coiffé du chapeau à larges bords, l’écharpe ramenée sur la bouche, le col relevé… on pourrait croire qu’il se prépare à attaquer le saloon du coin ! Il s’intéresse à tout, et nous papotons tout le long du trajet. L’ennui, c’est qu’il m’est quelque peu difficile de le comprendre, car lorsqu’on parle avec un bâillon sur la bouche, ça affecte quelque peu la diction ! Il veut regarder dans la caméra, et il appuie même sur le déclencheur, filmant le chauffeur et le chapeau du voisin. À la descente du bus, il me guide à travers les ruelles du village, à travers le marché, jusqu’à l’église. Sur la place centrale, des équilibristes finissent d’installer un grand mât d’une trentaine de mètres de haut. On pourrait croire qu’ils érigent un mât de cocagne, mais en réalité, c’est de là que vont s’élancer dans le vide, tournoyant au bout de deux cordes, deux hommes masqués, vêtus d’un costume rouge et d’un pantalon noir : los « voladores »

Les parvis des deux églises se faisant face, de chaque côté de la place, sont enfumés par de l’encens brûlant en produisant de grandes flammes jaunes et une épaisse fumée noire qui suffoque ! Cela me rappelle des scènes de films sur le Moyen Âge où l’on voit brûler ainsi des foyers destinés à chasser les miasmes, la peste et la lèpre lors des périodes sombres où des maléfices décimaient des villages entiers ! Il n’est que sept heures et demie, et les marchands installent leurs étalages. Les « gringos » ne sont pas encore arrivés. Je croise une patrouille d’une vingtaine de soldats, en rangs deux par deux, l’allure martiale et le M16 en travers de la poitrine. Ils prennent position à tous les coins de rues…

Je me rends à l’hôtel Mayan, au bout du village. Il est situé des deux côtés de la rue. D’un côté, les pièces sont disposées autour d’un jardinet agrémenté d’arbres fleuris, de l’autre côté, un patio andalou entouré de galeries aux balcons de bois dégagerait une impression de sérénité, s’il n’y avait la présence continuelle un peu envahissante, d’un homme de forte corpulence au visage austère. Il me suit partout et ça m’intrigue. Il a peur que je vole les fleurs ? Si c’était le patron, il m’aurait adressé la parole, si c’était un client, il ne me suivrait pas ainsi partout… Je suis tout de même trop vieux pour être suivi par un pédophile et trop moche pour un « maricón »… Alors je me pose des questions ! Les employés de l’hôtel portent des livrées rouges, et des pantalons noirs s’arrêtant à mi-mollets. En causant avec l’un d’entre eux, j’apprends que la Reine Sophie d’Espagne vient en visite officielle ce matin. Alors, tout s’explique : la préparation de fête, les patrouilles militaires, le « gorille » qui me suit partout…

Dans une ruelle au coin du Mayan Inn, je découvre un spectacle inattendu : au son aigrelet et peu mélodieux d’une flûte de roseau accompagnée d’un tambour lancinant, un homme danse en agitant un petit cheval de bois posé sur son avant-bras. Il tourne sur lui-même entre deux haies de comparses vêtus de vestes rouges, de pantalons noirs trop courts et de turbans colorés, savamment noués. Ils sont chaussés de sandales de cuir. Ils tiennent une tige d’argent terminée par un soleil au cœur duquel le christ ou la vierge sont représentés. Ces hommes plutôt âgés sont presque tous édentés, et leurs visages burinés laissent supposer que leur vie se déroule au soleil, sur les petits lopins de terre gagnés sur la montagne.

Je me rends sur les marches de l’église, car si la Reine Sophie veut voir tournoyer les « voladores » ( indiens volants ), c’est ici qu’elle viendra. Et puis, je pense qu’elle ne peut pas manquer d’aller se recueillir un instant dans l’église, car au Guatemala, la religion est tellement présente que même les chansons de variétés parlent de Dieu et du Christ ! En attendant, je reste avec Moise, un gars du village qui se montre très curieux sur la façon dont on vit en France, car il aimerait bien venir travailler en Europe. Quand je lui explique que je suis « maestro », il devient tellement respectueux que je regrette de lui avoir dit ma profession… Pour nous faire patienter, les « voladores » se lancent du haut du mât. C’est un peu comme un saut à l’élastique, mais très ralenti. Cette cérémonie rituelle a une signification symbolique. Les voltigeurs descendent imperceptiblement vers le sol, la tête en bas entraînant avec eux le soleil et la pluie, donc, la fertilité de la terre. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochent du sol, la corde devient plus longue, donc, leur cercle s’agrandit. Leurs deux comparses sont restés au sommet, couchés sur les montants du quadrilatère de bois pour freiner le déroulement de la corde. Ce spectacle amuse les spectateurs locaux et intrigue les « gringos ». Moise prétend que les accidents sont rares… J’en suis peu convaincu ! Le curé vient sur le parvis, en haut des marches, et se place juste entre les deux haies de danseurs que j’avais vus tout à l’heure. Je suis au premier rang. Tout le monde attend la Reine Sofia. Le marché bat son plein dans la plus grande indifférence. Soudain, sans qu’il y ait eu la moindre agitation particulière, j’entends des Français se trouvant derrière moi dire : « C’est Elle, regarde, Elle est là ! » En effet, la Reine débouche, dans la plus grande simplicité, à trois mètres de moi, et Elle vient juste à côté, grimaçant en souriant à cause de la fumée âcre de l’encens ! Elle parle avec l’un ou l’autre, salue le prêtre en toute simplicité, renifle à cause de la fumée… Elle est simple, belle, digne : j’ai le coup de foudre pour la Reine d’Espagne ! Elle entre dans l’église. Je redescends les marches pour l’attendre en bas, juste en face, près des cordes servant à parquer les journalistes. En effet, au bout d’un quart d’heure, elle apparaît, en haut des marches. « Los voladores » se lancent dans leur lente spirale descendante. La Reine a l’air de s’amuser, elle montre du doigt, sourit : je l’ai en gros plan dans le viseur de mon caméscope… puis Elle descend les marches. Elle est vêtue d’une jupe longue tout à fait ordinaire, d’une veste tissée par un artisan local, chaussée de ballerines. Elle vient sur moi, droit sur moi ! Dans mon dos, les cameramen ou les photographes hurlent, vocifèrent : je suis sûr que je les gêne. Tant pis ! Celui qui est amoureux de la reine, c’est moi… alors j’ai tous les droits ! Chose tout à fait incroyable, elle s’arrête là, à côté de moi, et il n’y a personne entre nous deux. Je pourrais lui parler, je suis sûr qu’elle me répondrait… mais je ne sais quoi lui dire ! Normal, c’est comme ça quand on a le coup de foudre… Cette situation dure quelques minutes. Elle repart vers le Mayan Inn, et je reste comme illuminé, les larmes aux yeux tant je suis ému !

Je vais manger dans un petit restaurant dans le marché. C’est bon, pas cher, mais c’est du poulet ! … Pas tellement le choix, quand on veut éviter les hamburgers ou les pizzas. Les touristes sont nombreux, c’est un fait, mais pas plus qu’en Thaïlande, qu’à Lourdes ou qu’au Pays Basque en août… Par contre les marchandises sont surtout des textiles de production locale, très colorés, fabriqués de plus en plus de façon industrielle. Personnellement, je préfère un petit marché de village plus authentique !

Je reviens en car jusqu’à Los Encuentros. Nous sommes serrés comme des asperges en bocal. La route monte, descend en lacets, les freins chauffent et nous empestent… C’est la routine ! À los Encuentros, je saute dans le car de Solola, et je descends jusqu’à Pana à pied : le lac et le volcan San Pedro à contre-jour, c’est tout à fait merveilleux ! Ce qui me semble intéressant aussi, c’est d’observer, du bord de la route, la façon de circuler des Guatémaltèques ! Dans ces pentes à fort pourcentage, ils n’ont peur de rien ! Les cars ou les poids lourds qui montent laissent dans leur sillage d’horribles émanations de fioul, ceux qui descendent, une âcre odeur de freins surchauffés. Je marche dans les caniveaux bétonnés ou sur les murettes, car il vaut mieux se méfier !

Le soir, je vais boire quelques bières au « Pana Rock Café », en haut de la « calle Santander ». Ah ! Je suis loin du Guatemala avec l’orchestre rock, mais c’est bon en passant. Bien sûr, la clientèle est uniquement « gringo »… Pour dîner, je vais au « Ranchón típico », et je le regrette bien, car c’est assez cher, peu accueillant, et surtout très miteux. Le plafond en nattes tressées destinées à cacher les tôles ondulées du toit risque de s’effondrer d’un moment à l’autre dans mon assiette, et en attendant, il dispense une petite pluie d’insectes variés se baignant de temps en temps dans mon verre ! les tables boitent, les nappes sont trouées… Ça me fait penser à ces petits restaurants tunisiens qui veulent se donner l’illusion d’être sélects en mettant des nappes en papier journal… Le repas est acceptable, bien qu’ordinaire. On sent l’établissement peu entretenu, sur le déclin, et qui n’existera peut-être plus dans six mois !

 

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